INBOX: Frank F. Castelyns

Le M HKA réserve le cinquième étage à des interventions surprenantes et à des présentations pop-up intimes. INBOX est un lieu qui inspire et qui surprend, et nous permet de jeter un coup d’œil dans l’univers de penseurs et d’acteurs enthousiastes. Avec INBOX, le M HKA crée un espace pour un certain nombre de questions qui sont souvent posées au musée.
Pendant les périodes entre les différents événements, nous y montrons une sélection d’œuvres de notre collection, en prêtant une attention particulière à l’art vidéo.
L’accès à l’espace INBOX est libre.
L'homme qui voyait de la beauté en tout
Des milliers de personnes doivent l'avoir observé, à Anvers et ailleurs : un homme qui a parcouru les rues pendant des années avec son vélo à la main et qui a exploré, s'est arrêté parfois, a ramassé des choses pour ensuite poursuivre sa route. Et puis il revenait pour ramasser encore autre chose qu'il avait laissé en premier lieu.
Bien des gens se seront demandé ce qui l'animait. Avait-il un talent secret pour trouver des pièces de monnaie ? Des bagues perdues, des broches en or, des boucles d'oreille en argent ? A-t-il accumulé une fortune en silence ?
Il plaçait la récolte du jour dans de petits sachets en plastique qu'il fermait soigneusement et il les mettait ensuite dans de plus grands sacs qu'il suspendait à son vélo. Une fois rentré chez lui, il stockait ses trouvailles dans des boîtes en carton. Ces boîtes étaient empilées. Lorsque la pièce était pleine, il louait un box dans un garage des environs. Chaque soir, il notait sur de petits carnets et dans une écriture minuscule ce qu'il avait trouvé et les aventures qu'il avait vécues.
Sa mère comprenait son obsession et elle a continué de le soutenir jusqu'à sa mort. Cependant, son épouse avait du mal à supporter cela et elle a demandé conseil à un psychiatre. Celui-ci a conçu une thérapie. Lorsque Frank en a entendu parler, il s'est mis en colère. Il a été compté au rang des stockeurs, ou hoarders pour être à la mode, consumés par le désir irrésistible de collecter toutes sortes de choses et dont l'habitat est envahi par leurs découvertes. La psychiatrie nous apprend que les hoarders, en conséquence de leur manie, s'isolent sur le plan social et ont besoin d'aide. Cependant, Frank Castelyns était un cas à part.
Le stockeur type est convaincu que ses affaires peuvent avoir une utilité pratique et viendront un jour à point nommé, même si elles sont complètement usées ou cassées. Sa fièvre de la collecte se porte également sur de la camelote et des objets de décoration passés de mode dont il s'imagine qu'ils sont rares et représentent une valeur ou la représenteront un jour. Il est le client apprécié des marchés aux puces et s'il y est vraiment obligé, il peut aussi se débarrasser de ses affaires sur ces marchés.
Cependant, Frank Castelyns ne se rendait sur aucun marché aux puces et il ne possédait aucun gadget ou bibelot. Il ne constituait pas non plus de collections. Dans le désordre de ses dépôts, il n'y avait rien qu'il ait acheté, rien qu'il puisse exhiber avec fierté. Il n'y avait rien à voir non plus sur le plan pratique. Tout était totalement inutile et invendable. Ses objets étaient les rebuts de la terre. Cependant, il trouvait en eux une beauté inconnue et il leur attribuait une valeur archéologique, une projection dans l'avenir. Ses restes insignifiants ont révélé notre état d'esprit et notre mode de vie. Ils méritaient donc d'être traités avec respect. Il y voyait un parallèle avec les reliques de saints : la semelle d'une sandale, un morceau de tissu ou une phalange, conservés avec beaucoup de pathos dans une châsse et vénérés pendant des siècles. Sa croyance selon laquelle même le plus petit élément de sa gigantesque collection en comprenait la totalité était également de nature mystique, comme dans les vers du poète inspiré par l'Orient, Jan Hendrik Leopold :
Des waterdruppels helderte doorturend
Besefte ik de wereldoceaan
En zonnestofjes in hun spel beglurend
Heb ik het wezen van de zon verstaan.
Scènes et triptyques
Le matériel de travail présent dans ses dépôts était constitué de boîtes de conserve aplaties, de paquets de cigarettes froissés qui avaient été détrempés six fois par la pluie, de briquets explosés, de chutes d'emballages de bonbons, de gobelets en plastique lacérés, de restes de nourriture et d'autres déchets que le balayeur communal jette sans y prêter attention dans sa poubelle. Il les collait dans des boîtes en carton qu'il accrochait au mur tels des bas-reliefs, afin qu'il en surgisse une sorte de boîte à images où se jouait une scène imaginaire. La composition lui coûtait à chaque fois de nombreux casse-tête. Bien qu'il se soit dit adepte de Kurt Schwitters et Robert Rauschenberg, il n'était en aucun cas leur épigone. Pour exclure tout effet de salon, il évitait les effets de composition classiques et les couleurs complémentaires. Il choisissait souvent la coordination, la subordination ou simplement le chaos, bien qu'il ne faille pas exclure qu'il y plaçait également des significations narratives ou symboliques. Plusieurs compositions ont la forme d'un triptyque, comme au Moyen-Âge. « Je suis un artiste religieux, » a-t-il déclaré dans une interview.
Il ne divulguait pas les circonstances exactes de ses scènes et s'il leur donnait des titres, il s'agissait de choses un peu folles comme De slag der vaandrigs, Op bezoek bij de koning met de huisdierdraak, Morgen zie ik Sinterklaas, ‘Carnaval d’Andorra’ sous patronage de Descartes ou Pina kan niet mee gaan zwemmen zij is ongesteld. Cependant, il a arrêté car il a compris que le titre semblait donner un droit d'exister à l'œuvre, qui ne le méritait peut-être pas toujours.
Il existe (existait ?) même une série de boîtes qui représentait le voyage d'Apollo XIII vers la Lune en douze 'Stations'. Était-ce parce que ces personnes qui ont marché sur la Lune ont récolté toutes sortes de petites choses, tout comme lui, et ont ramené sur Terre un matériel d'étude inestimable ? Dans tous les cas, Castelyns n'avait pas peur des grands thèmes. Lorsqu'il en a eu l'occasion, il a aussi construit d'imposants assemblages qui présentaient Het Vlot van de Medusa (Le Radeau de la Méduse) ou Het Schip van Columbus (Le Bateau de Colomb). Pour les fabriquer, il fouillait des hangars et des containers, des terrains en friche et en démolition.
La réaction de Castelyn
Frank savait bien que son œuvre pouvait engendrer la répugnance et même l'agression chez le spectateur : « J'ai déjà très souvent remarqué que mon œuvre éveille des réactions hostiles mais je me dis Bon, c'est peut-être sale mais voyez aussi la beauté qu'elle contient. »
Dans le monde artistique anversois, il bénéficiait d'un certain statut. Il était connu pour avoir une personnalité chaleureuse et imperturbable, pour être instruit et pourvu d'un humour un peu maussade mais parfois aussi sarcastique. Guillaume Bijl a été un partisan de la première heure et il lui a offert la chance de participer à toutes sortes de projets artistiques en Belgique comme à l'étranger. Et il n'était pas le seul. Ses poèmes également, qu'il déclamait sur le ton strict, presque martial de Willem Elsschot, ont été appréciés et publiés par Johan Devrome à l'Antwerpse academie. La même école d'art, où Frank a étudié sans jamais achever ses études, lui a offert une plateforme dans son Jardin d'hiver lors de la Journée Portes Ouvertes, ce qui a engendré une grande incertitude chez de nombreux futurs étudiants quant à la nature ce qu'ils pouvaient attendre de cette école. Entre-temps, la Verbeke Foundation à Kemzeke lui avait déjà offert une pile de containers marins pour y ranger ses œuvres et réservé tout une salle dans l'exposition Lost in Garbage pour exposer le meilleur de son œuvre.
Cependant, les choses en sont restées là. Les collectionneurs d'art, bien qu'il s'agisse également de hoarders, bien que d'un genre à part, ont quitté le navire. Les musées sont restés frileux. Longtemps après Duchamp et Picabia, Magritte, Manzoni et Broodthaers, le respect de l'art et de son sérieux sacré est de retour. L'encens brûle partout. Alors après la merde en boîte et les casseroles de moules, le cap ultime, celui des déchets de rue, a été soigneusement contourné. En effet, aussi classique et religieux que Frank F. Castelyns ait pu être, il est resté un représentant des années 1960, qui étudiait à sa manière l'ordre établi et le faisait tomber à travers le panier. Est-ce que nous mettrons à nouveau un frein à la ridiculisation artistique des groupes financiers, autrefois appelés 'bourgeoisie' ? Un Castelyns à Art Dubai garantirait pourtant un éclat qu'aucun artiste à paillettes américain ne peut égaler.
- Paul Ilegems
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