Just testing with the M HKA Content!!

INBOX: Lamart Offspace & Pieter Steyaert (SEAD) – Orahory

©Pieter Steyaert
26 May - 10 June 2018
M HKA, Antwerp

Le M HKA réserve le cinquième étage à des interventions surprenantes et à des présentations pop-up intimes. INBOX est un lieu qui inspire et qui surprend, et nous permet de jeter un coup d’œil dans l’univers de penseurs et d’acteurs enthousiastes. Avec INBOX, le M HKA crée un espace pour un certain nombre de questions qui sont souvent posées au musée.

Pendant les périodes entre les différents événements, nous y montrons une sélection d’œuvres de notre collection, en prêtant une attention particulière à l’art vidéo.

L’accès à l’espace INBOX est libre.

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Orahory est une installation de la main de l’artiste Pieter Steyaert (1990, BE, SEAD) en collaboration avec Lamart Offspace et est composée d’un nombre d’organismes digitaux qui ont été créés au cours de plusieurs nuits en traitant les flux de données d’une boîte de nuit.  Ces organismes sont créés en temps réel en réagissant sur une série de données sensorielles enregistrées à la boîte de nuit Ampere.

www.lamart.be

Sur la limite de l’observation.

Dans son livre ‘The Limitations of Science’ John William Navin Sullivan a fait en 1933 la remarque suivante :

“… We have seen that the scientific account of our universe appears clearest and most convincing when it deals with inanimate matter. […] But when it comes to the sciences dealing with life, the state of affairs is less satisfactory. Many of the questions that seem to us quite fundamental have not been met. What, for instance, makes us regard a living organism as a whole, and not merely as the sum of its parts? What does this vague notion of ‘wholeness’ or ‘individuality’ really amount to? …” (Sullivan 1933)

Quand John Sullivan se posait ces questions, le programme réductionniste de la science était largement en cours: uniquement ce qui était observable, mesurable et calculable comptait pour la science et était considéré comme science.  Et observer, mesurer et calculer,  nous ne le faisions pas pour le plaisir,  mais dans l’intérêt social général.   Naturellement en tant qu’individu nous avons des sentiments et des rêves, et il y a la crainte que cela ne va pas réussir, et l’espoir que cela va réussir.  Mais ces ‘choses’ volatiles subjectives ne comptaient pas pour les réductionnistes quand il s’agit d’organiser notre vie et notre cohabitation.  L’essentiel du matérialisme de l’époque peut être exprimé au mieux avec les dires de Bertrand Russel:

“… That Man is the product of causes which had no prevision of the end they were achieving; that his origin, his growth, his hopes and fears, his loves and his beliefs, are but the outcome of accidental collocations of atoms; that no fire, no heroism, no intensity of thought and feeling, can preserve an individual life beyond the grave; that all the labours of the ages, all the devotion, all the inspiration, all the noonday brightness of human genius, are destined to extinction in the vast death of the solar system, and that the whole temple of Man’s achievement must inevitably be buried beneath the debris of a universe in ruins—all these things, if not quite beyond dispute, are yet so nearly certain, that no philosophy which rejects them can hope to stand …” (Russell 1923)

Mais ici Russel confondait deux choses.  Que les vies humaines, les civilisations et même l’univers sont périssables, et que nos réalisations sont dans cette optique d’une importance relative, est admissible sans plus.  Mais cela ne signifie pas que nous devons voir nos espoirs et craintes et nos amours et ce que nous croyons, simplement comme le résultat dénué de sens des états atomiques fortuits dont nous n’avons pas le contrôle.   Dans leur zèle d’opposer la capacité de la ratio humaine à l’influence de la religion et de la spiritualité pseudo-scientifique, les matérialistes des derniers cent ans sont tombés dans l’autre extrême, et ils qualifient tout ce qui n’est pas compréhensible par la ‘ratio’ comme non relevant, naïf ou soupçonneux.  Que la science est un procédé social qui, de ce fait, influence déjà l’observation scientifique, et qu’ainsi ‘l’objectivité’ même est relative, est entre temps déjà compris depuis longtemps par certains milieux de philosophes critiques et de sociologues.  Sheila Jasanoff met les choses au clair quand elle dit que “… the ways in which we know and represent the world (both nature and society) are inseparable from the ways in which we choose to live in it …” (Jasanoff 2004).  La manière suivant laquelle nous, comme scientifique, mais aussi comme politicien, homme de marketing ou artiste, voyons le monde est déterminée par comment nous voulons vivre dans ce monde.   Ceci a des implications en soi, mais finalement c’est une pensée libératoire et non menaçante.   Et les états atomiques n’ont rien à dire sur ça.

Mais ce n’est pas tout.  Nous, en tant qu’individu en général et en tant que scientifique en particulier, ne devons non seulement accepter, que nous, comme construction sociale, influençons nos propres observations, mais également que l’acte de l’observation en vue de comprendre puisse avoir lui-même une influence sur l’état que nous voulons observer.  Dans la physique quantique l’effet de l’observateur est inévitable: chaque ‘mesure’ d’un état subatomique de la nature perturbe cet état.  Nous ne pouvons donc jamais connaître comment cet état était, et ce qui nous mesurons est finalement inutile parce que nous l’avons occasionné nous-mêmes.  Mais ce principe vaut aussi dans la vie normale observable.  Nous étudions la vie des animaux dans la nature et essayons de le faire sans trop perturber cette vie.  Et si nous voulons savoir, d’une façon scientifique,  ce qui vit entre les gens, nous devons leur demander  d’interrompre cette vie pour un moment pour une enquête ou un interview.

“Mesurer c’est savoir, deviner c’est rater” dit le proverbe bien connu, et cela ne nous étonnerait pas s’il  avait été encadré et accroché dans l’atelier de Bertrand Russel.  Entretemps nous savons qu’en voulant observer la nature et la société, nous devons accepter que nos observations soient influencées par l’acte même de cette observation, mais aussi par le fait de comment nous préférons  vivre nous-même dans cette nature et cette société.  L’humanisme traditionnel nous a (heureusement) procuré l’idée que l’homme en tant que homme est capable de penser pour lui-même, contre tous les dogmes politiques et religieux.  Mais comme individu rationnel nous sommes faibles.  Nous ne pouvons jamais savoir ce qui y ‘est’ réellement, et nous savons que notre vue est troublée par ‘comment nous voudrions que ce soit’.  La seule manière de le gérer d’une façon responsable est d’en parler avec les autres.  N’importe quelle observation sur quoi que ce soit est inutile dans l’intérêt de la société sauf si elle est en même temps un sujet de dialogue.

John Sullivan était en avant garde parce qu’il réfléchissait déjà sur la science en 1933 du perspectif de ses limites.  Mais pragmatiquement il maintenait l’image d’une science qui, en toutes circonstances, devrait être en état de nous procurer la vérité nécessaire pour déterminer notre comportement.  Mais à la fin de ‘The Limitations of Science’ il devient lyrique.  Il argumentait que les activités que nous apprécions le plus sont celles qui contribuent le plus à l’augmentation de notre conscience, de nous-mêmes, de notre concitoyen et de l’univers matériel dans lequel nous vivons.  D’après lui, une activité que nous apprécions en particulier est l’art :

“… The great artist, painter, poet or musician, makes us aware as we have never been aware before. He extends and subtilizes certain elements of our experience and so gives us greater knowledge and mastery of life. […] He voices “The prophetic soul of the wide world, Dreaming on things to come”. This is the life-giving quality of art, and the added comprehension so bestowed is an essential element in what is called the aesthetic emotion …” (Sullivan 1933)

[…]

Cher visiteur de l’installation Orahory.

Si  vous n’étiez pas présent à l’Ampere à l’époque, vous ne pouvez pas savoir comment cela y était alors.  Si vous y étiez quand-même, vous ne saviez peut-être pas que votre comportement était mesuré, et dans ce cas, vous ne pouvez en somme pas savoir comment ça y était alors.  Mais ce n’est absolument pas nécessaire, car ce qu’il y avait là en ce temps n’a rien à voir avec ce que vous voyez ici, maintenant,  du moins pas en termes scientifiques.  Il n’y a aucun rapport rationnel entre ce que sont et signifient ces organismes virtuels et les matériaux avec lesquels ils ont été créés.  Les mesures à l’Ampere étaient dénuées de sens pour la société mais importantes pour l’art, et de ce fait, se rappelant Sullivan, tout de même dans un sens importantes pour la société.  Et ensuite, regardez ce que vous voyez ici simplement du perspectif de ‘comment voulez-vous vivre vous-même dans ce monde’.

D’ailleurs, vous n’avez pas d’autre choix.

Gaston Meskens, Anvers, le 24 mai 2018

 


Références

Jasanoff, Sheila, ed. 2004. States of Knowledge: The Co-Production of Science and the Social Order. 1 New edition. London: Routledge.

Russell, Bertrand. 1923. A Free Man’s Worship,. T.B. Mosher.

Sullivan, John William Navin. 1933. The Limitations of Science. The Viking Press.

Gaston Meskens est physicien, activiste philosophique et artiste.  Plus sur http://www.metaspect.org/