INBOX: Vlad Monroe’s Parade

À l’occasion de l’Antwerp Pride (08.08 – 11.08.2019), le M HKA organise à l’INBOX, au 5e étage, une exposition individuelle d’œuvres jamais présentées précédemment de l’artiste russe polyvalent, Vlad Monroe.
Avec le support de Philip Huyghe.
« Vladislav Mamyshev-Monroe, l’un des artistes de la performance les plus importants de Russie, est mort samedi dernier, le 16 mars 2013, en se noyant dans la piscine d’un hôtel à Bali, où il vivait depuis 2007. Sa mort inopinée a profondément secoué la communauté artistique en Russie, soulignant sa prééminence dans le monde de l’art et sa personnalité charismatique. Âgé de 43 ans, Vlad Monroe était surtout connu pour ses personnifications de figures célèbres comme Hitler, le pape, Poutine ou Marylin Monroe – qui lui a valu son sobriquet affectueux.
J’ai rencontré Mamyshev-Monroe pour la première fois lorsqu’il était un jeune homme dans les années 80, dans sa ville natale de Saint-Pétersbourg, alors encore Leningrad. Il était un protégé du philosophe et artiste Timur Novikov et membre du mouvement de la Nouvelle Académie. En ce temps, la scène artistique de Saint-Pétersbourg était radicalement différente de celle de Moscou, où nous suivions avec enthousiasme les tendances internationales, en particulier les courants de l’art occidental. À Saint-Pétersbourg, les artistes travaillaient dans un environnement beaucoup plus isolé, ce qui engendrait une approche beaucoup plus idiosyncrasique.
“Mamyshev-Monroe était l’incarnation de cette époque sans limites.”
Malgré son très jeune âge, le charisme, le talent et le flair de Mamyshev-Monroe paraissaient évidents. Et en plus d’être artiste doué, il assumait ouvertement son homosexualité, ce qui demeure à ce jour un tabou en Russie. Il s’est habillé pour la première fois en Marylin Monroe lorsqu’il effectuait son service militaire dans les années 80, confectionnant sa tenue avec des rideaux et des cheveux de poupée. Cette première performance sous les traits de la star hollywoodienne lui a aussitôt valu d’être réformé et brièvement envoyé en hôpital psychiatrique.
Toutes les performances de Mamyshev-Monroe étaient aussi électrisantes. Il s’habillait en personnage historique ou politique et le public était captivé par la profondeur et le naturel de son jeu. Mais il s’agissait de bien davantage que d’un jeu d’acteur – il déployait un art de la performance du plus haut vol. Je le situerais sans hésitation au même niveau que Marina Abramović. Au fil des années, il a portraituré bon nombre de figures iconiques, comme Dostoïevski, Elizabeth Ire, Charlie Chaplin et Jésus. Son remake en 2007 de la comédie musicale classique Volga Volga dans laquelle il a numériquement remplacé l’actrice principale Lioubov Orlova par son propre avatar n’a pas seulement remporté le prestigieux prix Kandinsky, mais a également assis sa réputation comme l’un des plus éminents artistes-vidéastes russes.
“Sa façon de vivre ouvertement sa sexualité a fait de lui une icône gay”
Dans une autre de ses performances très appréciées sur Télé Pirate (Piratskoye televideniye), une parodie de série télévisée créée avec Novikov, il a émis l’hypothèse que Lénine s’est transformé en champignon après sa mort. Sa façon pince-sans-rire de le raconter a laissé beaucoup de spectateurs perplexes quant à l’authenticité de la théorie. Ce qui était particulièrement intéressant chez Mamyshev-Monroe, c’était sa façon de brouiller les frontières entre sa vie publique et privée. Même quand il n’était pas à l’œuvre, il livrait une performance. Quoi qu’il dît ou fît, il devenait d’emblée le centre de l’attention.
Je me souviens lui avoir parlé à la foire d’art Frieze à Londres il y a quelques années. Nous étions tous les deux sur le stand de la XL Gallery, qui vendait ses œuvres. Il était habillé de manière décontractée et neutre et nous causions en russe. Pourtant, au bout de quelques minutes à peine, une foule s’est massée autour de lui. Il y avait quelque chose dans sa manière de parler, de se tenir, dans sa gestuelle qui transformait chaque instant en postulat artistique. Il galvanisait le public et c’était, je dois dire, son talent le plus fascinant. Plus récemment, ses travestissements et sa façon de vivre ouvertement sa sexualité ont fait de lui une icône gay. En 2010, après avoir été victime d’un passage à tabac en raison de son homosexualité, il a posté sa convalescence sur Facebook, évoquant sans crainte l’homophobie en Russie.
Je suppose qu’au cours des dernières années, il se sentait de plus en plus nostalgique de ses débuts, à l’aube des années 90, quand les communautés d’artistes underground étaient sous les projecteurs et que tout semblait possible. Je ne pense par exemple pas que quiconque soit capable d’organiser aujourd’hui une exposition à forte dimension politique dans une prison en service comme celle dont je fus le commissaire dans l’infâme prison de Boutyrka à Moscou en 1991. Mamyshev-Monroe était l’incarnation de cette époque sans limites. Ensuite, les choses ont commencé à changer. Il était désenchanté par la nouvelle réalité et passait de plus en plus de temps à Bali. Sa mort est une grande perte pour l’art russe. Dès le début, il était une figure clé de la scène artistique contemporaine russe et son absence sera durement ressentie. Personne n’incarne avec autant d’acuité et de vivacité la complexité des trois dernières décennies.[1] »
- Joseph Backstein
26 mars 2013
[1]Joseph Backstein, in: The Calvert Journal, Life as art: Joseph Backstein remembers iconic performance artist Vlad Mamyshev-Monroe, 2013,