IN SITU: Alexandre Estrela – Roda Lume
En 1962, le supplément littéraire du quotidien anglais The Times publiait un texte du poète expérimental et ingénieur textile Ernesto de Melo e Castro. L’article se focalisait sur les expériences verbales les plus innovantes réalisées outre-Atlantique. Pour des poètes tels que Dom Sylvester Houédard ou Ian Hamilton Finlay, c’est une véritable découverte de l’avant-garde brésilienne et de son mouvement de poésie concrète, mais avant tout une motivation plus que nécessaire pour la création d’un courant analogue au Royaume-Uni.
Sept ans plus tard, notre ingénieur textile et poète expérimental renommé franchit une deuxième étape importante dans la diffusion de la poésie concrète en Europe. Invité par la télévision publique portugaise à participer à une émission autour de la poésie, Melo e Castro profite de l’occasion pour diffuser ce qui est considéré comme le premier poème en vidéo. Roda Lume, qu’on peut traduire librement par « Roue de feu », « Cercle de lumière » ou « Flamme ondulatoire », était une brève animation, montrant une succession de lignes géométriques, de mots et vocalises improvisés allant vers une « syntaxe libérée ».
En 1969, deux millions de téléviseurs ont accueilli Roda Lume comme une étape vers un langage embryonnaire en mutation continue. Le poème télévisuel a fait l’effet d’un OVNI ; passé sous les radars de la censure fasciste qui a permis sa retransmission, inconsciente de la radicalité transversale qu’il recèle : la vidéo a eu l’effet d’un catalyseur sur le conformisme social et artistique, et dans ce contexte, elle a fait office d’appel à la révolution qui allait voir le jour quelques années plus tard. Malheureusement, Roda Lume s’est perdu, à moins qu’il n’ait été détruit par la chaîne télévisée nationale. En 1986, Melo e Castro a tenté de reconstituer le poème en s’appuyant sur des photogrammes et une partition précise. La version présentée au M HKA s’intitule Roda Lume Fogo. Le poète y a ajouté le terme de fogo (feu), afin de le distinguer de la version originale disparue.
De manière analogue à l’œuvre d’Alexandre Estrela, Roda Lume Fogo crée différentes notions de temps et d’espace. La perception des spectateurs influence la lecture des images et du texte. Les mots et les images sont mis en mouvement dans un circuit fermé, cherchant à se libérer du poids de la communication et des lois de la Nature. Les deux artistes créent des systèmes où l’énergie ne se perd jamais et de même que dans Sator Arepo, le carré magique latin, la règle consiste à maintenir le moment dans l’œuvre.