Ayman Ramadan

Ayman Ramadan a déménagé à l’âge de seize ans de la campagne au Caire, a trouvé un travail en tant qu’agent de gardiennage et dormait dans les camionnettes et les voitures qu’il nettoyait en échange d’un endroit pour dormir. Il envoyait l’argent à sa famille. Il a tenu quelques années avant de se disputer avec son patron à propos de l’argent. Pendant cette altercation, il a reçu un travail et un logement d’un passant qui s’est interposé. C’était William Wells, le propriétaire de la Townhouse Gallery, le premier espace d’exposition indépendant d’Égypte. Ramadan copiait d’abord le travail des artistes qui passaient par la galerie. En 2001, il a participé à sa première exposition, Hallucination Superstition, une exposition liée à la représentation de la superstition populaire et à la manière de l’invoquer par le biais de sculptures et de silhouettes en métal.
Il était étonné de constater que le monde artistique n’exposait pas ou peu d’éléments culturels issus de la classe ouvrière. Pendant ses résidences à Copenhague ou à Amsterdam, il a remarqué que le monde artistique se concentrait majoritairement sur la classe moyenne aisée, riche et très instruite. Ramadan a donc commencé à utiliser et à réinterpréter des objets, des outils, des ustensiles de cuisine, des objets religieux ou rituels et l’art de rue des quartiers populaires du Caire et de sa région natale. Il a ainsi polycopié une image d’un balayeur de rue dans les quartiers du Caire. La police a arrêté Ramadan et l’a questionné. À la fin du régime de Mohammed Hosni Said Moubarak, les déchets ont commencé à s’accumuler dans les rues de la métropole et son Sweeper [Balayeur de rue] (2009) est devenu le symbole de l’omniprésence de la corruption.
Après la révolution égyptienne, les représentants de la Maison-Blanche parlaient de « situation fluide ». La révolution a commencé avec quelques personnes qui se sont immolées dans un signe de protestation. Des manifestations violentes ont suivi et des affrontements avec l’armée ont eu lieu sur et aux alentours de la place Tahrir. Le président Hosni Moubarak a finalement été déchu et de nouvelles élections ont eu lieu dans un climat marqué par le chaos. Ramadan a appliqué la phrase vide et insignifiante (The Situation Is Fluid [La situation est fluide]) sur un panneau de circulation bleu et l’a traduite aussi en arabe. Ce symbole s’est transmis dans le monde entier comme un signe ou une œuvre dans une exposition comme lors de l’exposition de Narcisse Tordoir au M HKA en 2015.
Entre-temps, Ramadan a été invité à une exposition en Suède, a reçu une bourse pour une formation en photographie à San Francisco et a étudié à la Rijksacademie d’Amsterdam. Il s’est alors plutôt concentré sur l’art vidéo. Sa vidéo Iftar a été présentée à la Tate Modern et l’installation Baladi Bus faisait partie d’une exposition collective dans le Kunstmuseum de Bonn. Dans son œuvre, Ramadan reste au courant de son environnement direct, les habitants du quartier qui l’ont toujours aidé quand il traversait une période difficile. En 2015, il a organisé l’exposition Mere Real Things [Des choses tout simplement réelles] à la Townhouse Gallery. Il affichait plusieurs outils de travail, ustensiles de cuisine et objets décoratifs issus de ménages égyptiens de la classe moyenne, comme des balais attachés, des pioches et un rouet en bois pour aiguiser les couteaux. Avec l’arrivée du marché libre et de la mondialisation, ces objets ont disparu de la classe moyenne et ont été transmis aux classes plus défavorisées ou aux villages dans la campagne. Les objets ont autrefois fait partie des connaissances élémentaires de la classe moyenne égyptienne. En les exposant comme des objets d’art inutiles, comme des ready-mades, au public de l’art, Ramadan essaie de mettre en évidence le progrès qui a jeté ces objets aux oubliettes. Il joue sur le souvenir qui est encore présent dans un coin de la tête des gens. Le temps a fait disparaître sournoisement les objets et ils sont à nouveau mis sur le devant de la scène comme objets d’art pour lesquels le public se demande parfois quelle a été leur véritable fonction.
L’œuvre de Ramadan s’est progressivement élargie avec une palette de supports et d’influences, de la sculpture minimaliste à la photographie en passant par la vidéo et la performance, dans laquelle il entraîne souvent des résidents du centre du Caire.
DE
* Pour annoncer l’exposition Mere Real Things, une citation de l’écrivain argentin Julio Cortázar a été utilisée :
Je pense à ces objets, ces boîtes, ces ustensiles qu’on découvre parfois dans les greniers, les cuisines, les fonds de placards, et dont personne ne sait plus à quoi ça pouvait servir. Vanité de croire que nous comprenons les œuvres du temps : il enterre ses morts et garde les clés. Seuls les rêves, la poésie, le jeu (allumer une bougie par exemple et marcher dans le couloir avec celle-ci) nous font approcher parfois de ce que nous étions avant d’être ce que nous sommes, mais qui sait ce que nous sommes.
I think about those objects, those boxes, those utensils that sometimes would turn up in storerooms, kitchens, or hidden spots, and whose use no one can explain anymore. The vanity of believing that we understand the works of time: it buries its dead and keeps the keys. Only in dreams, in poetry, in play — lighting a candle, walking with it along the corridor — do we sometimes arrive at what we were before we were this thing that, who knows, we are.