Anna Godzina
Anna Godzina a terminé ses études à l’Académie royale des beaux-arts d’Anvers en 2019. Elle a remporté la même année le prix Hugo Roelandt, le prix de la fondation Mathilde Horlait-Dapsens et le prix STRT Schot. Elle a réalisé des expositions au M HKA, à la galerie Marion de Cannière et a fait des résidences à l’AAIR à Anvers et au sein du collectif ERGO à Athènes, Grèce. Avant ses études à Anvers, elle avait déjà exposé ses œuvres en Moldavie, en Roumanie, en Pologne et en Grèce.
Par le biais du titre d’une performance de Godzina à Anvers en 2016, celle-ci explique d’où pourrait provenir le cœur de son travail : « Je vois seulement des choses quand je suis en mouvement. » C’est le mouvement, de la plus petite des particules, un atome dans un espace vide, au flux de données qui passe par le câble qui entre dans notre maison en passant par le ciel étoilé, l’univers tel que vous le voyez, qui s’étend et dont les étoiles, les planètes et les lunes se rapprochent et s’écartent successivement l’une de l’autre de manière circulaire sous l’impulsion de la gravité, ou comme le son des mouches qui bourdonnent et qui s’écrasent parfois contre la fenêtre dans une pièce dont elles sont prisonnières, ou une balade de l’artiste à travers la ville, un bois, sur la plage ou un marché aux puces.
Elle illustre à nouveau ce mouvement par le biais d’objets trouvés, comme des tuyaux en plastique ou en fer, des roues, des lampes, des instruments de musique, des cordes, un arbre renversé ou un morceau de bois courbé. Elle fixe les objets à des moteurs, des machines et des pompes qui les ramènent à la vie, souvent dans une configuration dans laquelle ils ne s’étaient encore jamais déplacés, et dont la forme, le son ou la fonction originelle ne les auraient pas prédestinés à cette transformation. Godzina veut leur faire exécuter quelque chose de nouveau et d’imprévisible, ou comme elle le dit elle-même lors d’une interview (2019) : « Si cette chose imprévisible bouge de manière élégante ou produit un son mélodieux, c’est parfait. »
Le son des objets, de leur mouvement mécanique et des machines qui les fait bouger semble également mettre en mouvement l’espace dans lequel ils se trouvent. Lors du même entretien, elle admet aussi que les premiers pas de son travail tirent peut-être leur origine de l’endroit où elle a grandi : « En tant qu’adolescente, j’habitais à Chișinău dans la rue Belinski. En haut de la rue se trouve un carrefour impressionnant avec beaucoup de feux de circulation. Pendant la nuit, en l’absence de trafic, les lumières continuent de changer de couleur et de produire des sons de cliquetis. Rien ne bouge, sauf les couleurs qui changent, mais on a l’impression que quelque chose peut se produire à tout moment. »
Dans son œuvre, Godzina explore la capacité des personnes à voir le mouvement. Le volume de l’espace est également perceptible par le biais du son répétitif des machines. Godzina affine dans les moindres détails les modèles des objets qui se déplacent en rond, leur rythmique essais et erreurs et leur « nouvelle » manière de vivre inhabituelle, jusqu’à la création d’un état entre l’éveil et le rêve, une tension poétique qui prend comme point de départ l’erreur ou l’échec et qui brise en même temps le contrôle de la mécanique, alors que le mouvement se poursuit d’une manière surprenante.
L’œuvre de Godzina imite de manière ludique et maladroite le mouvement que l’on peut retrouver partout dans notre monde extérieur, à un certain rythme, avec un ton dissimulé ou non, et qui évolue toujours dans un sens ou dans l’autre. Dans notre monde rationalisé, nous semblons dissimuler tous les processus techniques dont nous sommes dépendants dans des enveloppes, derrière des murs d’isolation, dans des tuyaux hermétiques ou des câbles lisses. Godzina se base sur ce principe pour sortir le monde numérique de l’anonymat, comme pour harmoniser les vibrations de notre monde physique extérieur avec son œuvre et ainsi animer l’espace sans devoir y être physiquement présente.
Dans I Sing the Space Electric/Second Action [Je chante l’électricité de l’espace/Seconde action], Marion de Cannière, Anvers 2019, quelques bras mécaniques font faire des pirouettes à un câble en forme de boucle. Un câble noir et un câble rouge sont accrochés au milieu de l’espace à un type d’appareil. Les câbles dansent en symbiose en s’entremêlant dans un désir d’élégance apparent à une certaine distance d’une charge légèrement érotique, que l’on ne pourrait à priori pas retrouver dans des câbles. Le son machinal renforce l’impuissance et l’inutilité du mouvement incessant. Le tout fait penser à ce que l’écrivaine danoise Olga Raven décrit dans son livre Het Personeel [Le personnel] : l’humanité qui s’exprime à travers les machines reprogrammées. Avec Godzina, l’humanité existe à travers l’erreur et l’échec. Chacun s’épanouit au moment où l’on perd le contrôle des choses et on prend ainsi part à la somme des parts. Un bonheur se crée alors naturellement, comme dans Sound in Space, Space in Movement [Le son dans l’espace, l’espace en mouvement], l’un des morceaux du disque Landscape set to Music [Le paysage en musique] (Godzina, 2022). Lorsque les compositeurs et les musiciens impliqués exercent leur pratique avec le son qui provenait originellement d’un objet dans l’espace, et lorsque des imperfections sont créées comme par exemple la respiration du violoncelliste lors de la séance d’enregistrement.
Dans Permafrost, un volume de coraux blancs de plâtre est entreposé dans une caisse à vin et est mis en mouvement par une pompe. L’effet n’est pas visible à la surface. Celui-ci est uniquement perceptible grâce au son et il interfère avec l’autre œuvre qui se trouve dans l’espace d’exposition, comme les quatre bras qui gravitent autour de leur centre en jouant le rôle d’aiguilles de cloches imaginaires et qui semblent récolter le vide de l’espace pour ensuite le reverser ou l’évacuer. Un peu plus loin, un câble en forme de boucle passe le long de cordes d’une guitare électrique qui est branchée à un petit amplificateur orange. La technique et la mécanique des objets, des moteurs et des machines bricolées sont clairement visibles. Elles vous invitent à les analyser. Alors que nous essayons justement dans notre monde quotidien de dissimuler cette nuance mécanique, cette technique qui permet en grande partie à notre monde de tourner. Dans l’assemblage de ses machines, moteurs et objets trouvés, Godzina examine leur poids et leur mobilité par rapport à la gravitation. Elle ne construit pas comme une ingénieure, mais plutôt comme une artiste, une musicienne ou une chanteuse, qui recherche justement l’imperfection en abandonnant le contrôle dans la conception pour que la même poésie apparaisse que lors d’une rencontre ou d’un événement imprévisible pendant d’une promenade nocturne à travers la ville.
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