Jean Katambayi Mukendi

Jean Katambayi Mukendi est un artiste congolais qui est né dans un environnement artistique, qui a suivi une formation d’électricien et qui a nourri une fascination grandissante pour la technologie, les mathématiques, la mécanique, les circuits électriques, la géométrie et l’électronique dès sa plus tendre enfance. Sa jeunesse a été marquée par le camp de travail de sa ville de naissance Lubumbashi, le centre de l’industrie minière de la République démocratique du Congo. Sa mère l’a poussé à voir au-delà de l’état des choses de l’époque et d’aujourd’hui et de ne pas accepter la situation qui se présentait à lui. Le résultat est une œuvre spontanée et dynamique avec une forte trame empirique.
Katambayi associe des objets trouvés, des cartes, des CD, du matériel électronique recyclé, des câbles, du cuivre, des cartons et les assemble pour créer des collages, de nouvelles machines, des robots, des maquettes ou des appareils existants, comme par exemple un téléviseur dont il a enlevé l’écran pour remplir la cavité ainsi créée avec des déchets électroniques. Il imagine d’abord le concept et la thématique d’un futur travail dans sa tête comme s’il s’agissait d’une série de nombres linéaire ou d’un dessin technique d’un circuit électrique. Katambayi intègre ensuite ces pensées dans le matériel, dans les dessins et dans la configuration qu’il estime être la meilleure représentation de celles-ci.
« La source d’inspiration la plus importante est le questionnement permanent des contradictions dans notre société, qui semble écartelée. Pendant ma jeunesse, je m’inquiétais de l’avenir de la société paternaliste qui apparaissait comme héritage de la colonisation. Aujourd’hui, le monde subit ses contradictions et essaie de jouer un rôle dans le cadre de l’interventionnisme (politique étrangère, ingérence militaire et économique). Heureusement, la diversité culturelle et ethnique garde son parfum. »
Bien qu’il réalise des expériences artistiques depuis plus de vingt ans, dont quinze sans la moindre reconnaissance, il est considéré comme un innovateur international. Il crée des installations fragiles et complexes mises en mouvement par des mécaniques électriques avancées. Son style ressemble ainsi à celui des artistes comme Tinguely et Panamarenko.
Alors que son œuvre pose des questions sur la relation entre l’homme et la technologie par le biais de la puissance poétique du mouvement, du progrès et du développement, ses inventions technologiques s’inscrivent dans un espace philosophique qui recherche des solutions aux contradictions sociales de la société congolaise, ainsi qu’au pillage des nombreuses richesses en matières premières du pays. À propos du dessin M13, un dessin d’un écrou imaginaire avec treize faces qui est associé à des formules mathématiques, Katambayi dit par exemple ceci :
Lorsque nous sommes allés pour la première fois à Manono, nous voyions de grandes pièces de métal rouillées traîner partout. Il s’agissait des restes et des esprits de l’ancienne industrie de cassitérite. (…) Le M fait référence aux dimensions universelles des boulons. La dimension est généralement M6 ou M14. M13 est un écrou imaginaire qui ne convient à aucun système existant, mais qui soutient la durabilité. Je voulais créer quelque chose qui ne s’inscrivait pas dans les règles pour demander si l’histoire se répéterait. Est-ce que l’histoire se répétera ? Et pourquoi l’histoire est-elle tellement triste ?
En tant que scientifique et ingénieur, Jean Katambayi Mukendi tente d’invoquer un monde mécanique qu’il réalise avec des matériaux recyclés de la vie quotidienne, avec ou sans éléments en mouvement. Son travail aurait pu être qualifié de conceptuel s’il n’exprimait pas une grande préoccupation sociale et sociétale. Katambayi suit attentivement les évolutions dans le monde. Il essaie d’y apporter des réponses originales. Il s’exprime à propos de la pression de toujours devoir lire et écrire plus rapidement pour ne pas être dépassé par le progrès. Katambayi garde aussi le symbole de l’arbre, qui canalise toute l’énergie de transformation, comme sa métaphore centrale.
Avec l’installation mobile Trotation (issue de la collection du M HKA), l’artiste souhaite éliminer le déséquilibre entre l’hémisphère nord et l’hémisphère sud. Le travail met en évidence comment la terre tourne autour de son axe (rotation) et autour du soleil (révolution). Ceux qui se trouvent plus près de l’équateur effectuent une rotation plus importante que ceux qui se trouvent près des pôles. En ajoutant une troisième rotation aléatoire (trotation) à cet ordre naturel des choses, l’équilibre peut être rétabli. L’installation bricolée se caractérise par une gravité nonchalante ; les caméras et les lentilles sont placées sur une bande circulaire et parcourent en permanence le même trajet, alors que des lampes clignotent et des moteurs tournent, ce qui apporte une componction particulièrement légère à l’œuvre.
Le degré visible d’absurdité de ce travail reste une constante dans l’œuvre de Katambayi Mukendi ; une particularité qui tire son origine de la vie quotidienne congolaise, où des situations inimaginables se produisent de par le manque ou l’excédent de règles et de contrôles, qui sont associés à la pauvreté, à la vétusté des infrastructures, au néocolonialisme et à la créativité débordante des personnes. L’artiste puise justement sa liberté d’effectuer des expériences artistiques dans cet enchevêtrement de contradictions et d’anachronismes. Il utilise des calculs complexes et des formules mathématiques, des cartes géographiques avec des indicateurs de lieu, des dessins agrandis de lampes économiques ou des pièces d’avion en carton afin de reconstruire un amalgame complexe de la réalité contemporaine. Katambayi Mukendi travaille avec de l’humour et de la bravoure et est partagé entre le conceptualisme et le dadaïsme, et ajoute souvent une touche de Fluxus.
HW/DE